Interview de Romain Schneider avec le Jeudi

"Il faut de nouveaux remèdes"

Interview: Le Jeudi

Le Jeudi: En quoi ce Sommet humanitaire mondial était-il important pour le Luxembourg?

Romain Schneider: L'aide humanitaire est très importante pour notre gouvernement, car il y a actuellement 60 millions de personnes réfugiées et déplacées dans le monde et des crises qui se multiplient. Il s'agit d'une situation sans précédent. Nous sommes conscients que nous devons changer quelque chose à ces situations humanitaires qui ne sont plus acceptables, ni pour le monde ni pour nos citoyens.

Le Jeudi: Quel était le but de ce sommet?

Romain Schneider: C'est un processus de longue haleine qui se met en place pour réformer le système humanitaire. Il est important de trouver des remèdes directs, pas seulement en théorie, mais aussi en pratique. Nous devions faire ce sommet pour dégager des engagements à prendre ensemble, au niveau de l'ONU, mais aussi au niveau de chaque pays.

Le Jeudi: Vous avez dit que le "business as usual" dans l'humanitaire n'était plus une option. Quels sont les remèdes à apporter?

Romain Schneider: Quand on pense à l'aide humanitaire, on pense forcément à l'aide financière. Il est certain qu'il faut de l'argent pour remplir ces missions d'aide, car le bénévolat ne joue plus à ce stade. Mais nous avons de plus en plus besoin de la mixité des financements, avec d'un côté une aide publique et de l'autre une aide du secteur privé. C'est pour cela que nous avons lancé notre projet emergency.lu, grâce auquel nous nous servons de l'expérience du secteur privé. Nous avons besoin de cette expérience, du savoir-faire des entreprises participantes.

Le Jeudi: Les idées qui ont été avancées au sommet vont-elles être appliquées, les textes n'étant pas contraignants?

Romain Schneider: Certains engagements ont été pris, notamment dans le cas du "Grand Bargain", un pacte qui permet d'établir plus de clarté, de transparence et surtout plus d'efficacité dans l'aide humanitaire. Le Luxembourg se joint complètement à ces efforts, à travers plusieurs points: nous allons augmenter sensiblement nos lignes budgétaires à destination du secteur humanitaire, nous allons diriger 5% de nos financements directement vers des organisations au niveau local pour éviter le gaspillage de fonds, nous continuerons d'attribuer un budget spécifique pour la lutte contre le changement climatique, nous travaillerons davantage dans le domaine de l'innovation avec des initiatives comme emergency.lu et, enfin, nous continuerons à mettre l'accent sur les plus vulnérables, comme les handicapés, les femmes et les enfants. Ces engagements vont être mis en pratique directement au niveau national. Ce jeudi 26 mai, je signe avec les ONG humanitaires luxembourgeoises une charte concernant ces nouveaux volets. Nous allons nous engager dans différents types d'interventions concrètes.

Le Jeudi: En consacrant 1% de son Revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement, le Luxembourg est un des pays les plus généreux en la matière. Comment s'assurer que cet argent est bien utilisé?

Romain Schneider: Ce sommet nous permet d'y réfléchir, car l'argent disponible n'augmente plus. Le Luxembourg est un des rares pays qui s'engagent à respecter non seulement les 0,7% de son RNB consacré à l'aide au développement (ndlr: objectif fixé par l'ONU) mais fait plus en y consacrant 1%. Le montant de l'aide au développement du Luxembourg est supérieur à 400 millions d'euros par an, dont 40 millions pour l'aide humanitaire.

Le Jeudi: Le sommet a-t-il proposé de nouveaux outils pour améliorer l'efficacité de l'aide?

Romain Schneider: Non, nous avons les anciens outils, à savoir effectuer des bilans sur ce qui existe, comprendre quel pourcentage de l'aide arrive sur le terrain et trouver un fil rouge pour que l'aide passe plus facilement du point A au point B, en limitant les pertes sur le trajet.

Le Jeudi: Est-ce important pour un petit pays comme le Luxembourg de faire autant? L'opinion publique vous soutient-elle?

Romain Schneider: Naturellement, il y a toujours des personnes qui pensent qu'il faudrait utiliser cet argent à l'intérieur du pays. Mais elles sont rares. Au Parlement, à la Commission des affaires étrangères, je n'ai jamais eu de réaction forte contre cette politique. Je ne vois pas de problème ou de différend entre les partis politiques à ce sujet, que ce soit au sein du gouvernement ou de la part de l'opposition.

Le Jeudi: Quel est le voyage que vous avez fait, dans le cadre de vos fonctions, qui vous a le plus marqué?

Romain Schneider: Tous les voyages m'ont marqué. J'ai visité presque tous les continents à l'exception de l'Asie. Je vais me rendre au Laos et au Vietnam, nos pays partenaires, dans les prochains mois. Lors de mes voyages en Amérique centrale, à El Salvador et au Nicaragua, j'ai été impressionné par les crises naturelles. A El Salvador, le Luxembourg est impliqué dans un projet concret. Nous préparons les populations locales à des évacuations lors d'un tremblement de terre. Le jour de l'exercice, tout le village était là. Les femmes qui m'ont parlé par la suite m'ont dit qu'en cas de tremblement de terre désormais, elles sauront comment réagir et seront rassurées de savoir que leurs enfants sont pris en charge à l'école pour être évacués, qu'il y a une organisation en place. Au Mali, au Sénégal, au Burkina Faso, nous faisons beaucoup de choses, mais il y encore du travail à effectuer. Nous sommes parfois bloqués par la non -sécurité dans ces pays. Le Luxembourg est le seul Etat à être présent au nord du Mali, à travers les projets de Proman, dans les régions de Gao et de Kidal. Nous continuons à y travailler pour montrer que le Mali ce n'est pas seulement le sud du pays mais également le nord, où les frictions ont commencé. Enfin, j'ai participé à une réunion sur la région du Lac Tchad, la plus pauvre du monde. J'ai été touché par les témoignages des locaux et des autorités. J'ai eu le sentiment qu'il fallait aider plus, même si nous ne sommes qu'un petit pays et qu'on ne peut faire que de petites choses. L'espoir est que, grâce à l'exemple du Luxembourg, d'autres pays se rallieront aux causes que nous soutenons.

Le Jeudi: Que pensez-vous du fait que ce sommet se soit déroulé en Turquie, un pays critiqué en ce moment pour sa dérive autoritaire?

Romain Schneider: Il y a en effet des questions qui ont été discutées en marge du sommet avec le président turc Recep Tayyip Erdogan et qui ont été fortement médiatisées, notamment en Allemagne. Je ne pense pas qû il était opportun d'utiliser le sommet humanitaire pour parler de ces sujets. On trouvera d'autres plateformes pour le faire. Le Luxembourg et la plupart des pays participants se sont focalisés ici sur les dossiers humanitaires.

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