Discours de Romain Schneider au Parlement européen

"Le système humanitaire actuel est mis à rude épreuve"

"Madame le président, Mesdames, Messieurs les députés,

C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour discuter les plans et priorités de la Présidence luxembourgeoise en matière d’action humanitaire.

Avant de passer à ma présentation, permettez-moi de remercier le Parlement européen de poursuivre cette tradition d’échange de vues semestriel sur les défis humanitaires.

L’Union européenne est un acteur humanitaire reconnu à l’échelle internationale, apprécié et d’une importance stratégique. D’abord du point de vue financier: avec un budget humanitaire ayant dépassé 1,2 milliards d’euros en 2014, l’UE était - et l’est toujours - le plus important donateur humanitaire au plan international. Ensuite en matière d’expertise: l’UE et ses Etats membres disposent d’un large éventail d’instruments innovateurs et de capacités uniques ayant le potentiel de mitiger les effets de crises et donc de faire une véritable différence pour les populations affectées.

Tragiquement, le paysage des crises humanitaires ne cesse d’évoluer et de s’empirer. Selon OCHA, les crises prolongées sont désormais devenues la norme. Aujourd’hui, une personne déplacée passe en moyenne 17 ans dans des situations de déplacement prolongé.

Le système humanitaire actuel est mis à rude épreuve. Alors que les budgets humanitaires atteignent des niveaux record d’année en année, les instruments humanitaires ne sont plus adaptés à ces nouvelles réalités. Malgré certains progrès constatés depuis la réforme humanitaire de 2005, il existe un très large consensus que le système humanitaire tel que nous le connaissons a besoin d’une refonte substantielle.

C’est dans ce contexte que la Présidence luxembourgeoise a élaboré, dans le cadre de sa Présidence, trois priorités ayant l’objectif commun de rendre le système humanitaire plus performant et efficace, conformément au Consensus européen sur l’aide humanitaire  et aux principes du "Good Humanitarian Donorship":

Madame le président,

Notre première priorité a trait à une position européenne commune en vue du premier sommet humanitaire mondial à Istanbul en mai 2016. Suite à l’adoption de la communication de la Commission sur le sommet humanitaire mondial, nous avons proposé aux États membres une approche en trois étapes:

La première étape consiste à élaborer des messages communs en vue de la consultation globale qui aura lieu du 14 au 16 octobre à Genève. Ensuite, le sommet humanitaire mondial figurera à l’ordre du jour au CAE/développement du 26 octobre sous forme d’un débat d’orientation qui donnera l’occasion aux ministres de faire connaitre leurs priorités en la matière. Finalement, la Présidence suggère d’élaborer des conclusions du Conseil après ce débat d’orientation au Conseil afin d’informer le rapport du secrétaire général (SG) des Nations unies qui sortira probablement au cours du mois de janvier 2016.

Pour ce qui est du moment d’élaboration des conclusions du Conseil il reviendra aux États membres lors du CAE/développement de trancher sur la question.

Ce sera également le moment idéal pour débattre non seulement des lacunes du système humanitaire mais aussi de regarder plus loin et d’aborder la question des ajustements que nous devons apporter aux instruments humanitaires de l’UE. Quels seront nos engagements collectifs à Istanbul? Et quel rôle y jouera le nouveau plan d’action du Consensus européen actuellement élaboré par la Commission et les États membres ? De manière générale, nous espérons que les questions systémiques de l’action humanitaire continueront à figurer sur  l’ordre du jour du CAE/développement même après le 26 octobre. Le COHAFA, c.-à-d. le groupe de travail au Conseil dédié aux affaires humanitaires, quant à lui est le groupe idéal permettant d’alimenter ce débat – et il serait encore plus efficace s’il était basé à Bruxelles.

Enfin, permettez-moi d’ajouter encore que nous allons prendre en compte les réflexions du rapport de la  Commission DEVE qui s’intitule: "Preparing for the World Humanitarian Summit: Challenges and opportunities for humanitarian assistance", rapport qui sera présenté ici au cours du mois prochain.

Notre deuxième priorité touche à la coordination entre les acteurs de l’action humanitaire et de la protection civile. Suite aux conclusions du Conseil sous Présidence italienne sur la coordination entre les autorités de l’action humanitaire et de la protection civile du 16 décembre 2014, la Présidence luxembourgeoise a décidé de centrer ce débat davantage sur l’identification d’actions concrètes afin d’améliorer la coopération entre ces deux communautés.

À cette fin, la Présidence luxembourgeoise a organisé, du 15 au 16 juillet 2015, un atelier réunissant autour d’une table les représentants de ces deux domaines. En dépit des différences en matière de mandat et de modus operandi, il est ressorti de l’atelier que des complémentarités existent entre les deux familles pouvant être mises à profit dans le but commun de sauver des vies.

En date du 11 septembre, la Présidence luxembourgeoise a présenté les 34 recommandations du rapport de la Présidence au Conseil. Par la suite, certaines de ces recommandations vont devoir être mises en œuvre au niveau national, d’autres au niveau européen. Alors que les prochaines étapes restent à être clarifiées, il y aura probablement une liste d’actions prioritaires qui sera discuté lors des prochaines réunions conjointes au Conseil.

Notre troisième priorité est liée à la protection des personnes les plus vulnérables en situation de conflit.

L’objectif de la Présidence luxembourgeoise se fera sous forme de plaidoyer afin (1) d’affirmer l’universalité de l’impératif humanitaire, (2) de souligner l’importance de l’accès des acteurs humanitaires aux populations affectées par des conflits et leur implication dans toute programmation humanitaire, (3) de rappeler à toutes les parties prenantes l’obligation d’assurer la sécurité et la protection des travailleurs et structures humanitaires et (4) de renforcer les capacités d’autoprotection des personnes et communautés affectées. Ce débat s’inscrira également dans la lignée du programme du premier mandat du Luxembourg au Conseil de sécurité des Nations Unies.

La Présidence luxembourgeoise a l’intention de lancer un débat entre États membres au sujet du financement pour les programmes de protection. Ensemble avec la Commission, la Présidence soumettra un document de réflexion présentant quelques pistes concrètes visant à rendre plus flexible le financement des États membres en la matière.

Enfin, nous allons soutenir activement les préparatifs en vue de la 32e conférence internationale du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui aura lieu du 8 au 10 décembre 2015.

Madame le président,

A côté de ces trois priorités principales, la Présidence se focalisera également sur quelques autres sujets.

D’abord nous suivrons les grandes crises humanitaires internationales tout comme les crises oubliées. Dans ce contexte, la poursuite du débat au sujet des leçons apprises suite à l’épidémie d’Ebola sera cruciale. Permettez-moi de vous rappeler que le Luxembourg soutient activement l’organisation de la conférence "Ebola Lessons Learned" à Mondorf-les-Bains le mois prochain. Je tiens également à féliciter Charles Goerens pour son rapport sur la crise du virus Ebola qui met en avant des recommandations pertinentes. Nous tâcherons à ce qu’elles soient placées au centre des discussions à la conférence.

Au cours des trois prochains mois, nous mettrons également un accent sur le financement humanitaire. Ici, la Présidence proposera de discuter entre États membres des modalités telles que le financement pluriannuel qui représente une importante base de planification pour les partenaires humanitaires.

Ensuite, nous nous concentrerons sur le lien entre l’action humanitaire et le développement à long terme au Conseil. Un premier atelier qui a eu lieu le 9 septembre s’est concentré sur la question de la violence à l’égard des femmes dans les situations de conflit. S’y ajoutera une session conjointe COHAFA-CODEV (le CODVE est le groupe qui se focalise sur la coopération au développement) prévue pour le mois de novembre qui sera consacrée au thème des crises de déplacement et des personnes en déplacement prolongée, sujet touchant directement au dossier de la migration.

Enfin, nous plaidons à ce que gouvernements, donateurs et autres acteurs adoptent une approche multisectorielle et lient davantage la recherche de solutions durables à leurs programmes humanitaires, de développement et de prévention - et ce dans une logique de résilience. Nous continuerons à faire appel aux États membres à honorer leurs engagements dans le cadre des crises régionales prolongées auxquelles nous devons faire face aujourd’hui. Suite à la lettre du Président Schulz du 16 septembre nous allons aborder entre États membres, au plus vite, la question de contributions supplémentaires pour le compte de l’UNHCR et du PAM dans le cadre de la crise syrienne. Même si nous devons encourager les Nations unies à prioriser leur réponse, notre responsabilité première consiste à garantir que les victimes les plus vulnérables du conflit syrien aient droit à une aide humanitaire en toute dignité.

Pour conclure, malgré le fait que les budgets humanitaires atteignent des niveaux record d’année en année, je tiens à répéter que les instruments humanitaires à eux seuls n’ont pas les moyens de s’attaquer aux véritables causes profondes des crises de déplacement prolongé. Au contraire, aujourd’hui, plus que jamais, il importe de réunir et concentrer tous les instruments qui sont à notre disposition.

Je reste à votre disposition pour répondre à vos questions et poursuivre cet échange de vues.

Je vous remercie."

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