Le Luxembourg et la quête mondiale de l'égalité des sexes

Les objectifs de développement durable ne seront jamais atteints si l'écart entre les sexes n'est pas comblé. Les progrès en ce sens étaient déjà péniblement lents avant le début de la pandémie de COVID-19 et ces mêmes progrès ont été en grande partie perdus depuis. La guerre et le changement climatique ne font qu'aggraver la situation. Pourtant, les femmes, dans toute leur diversité, constituent une partie essentielle de la solution à ces crises mondiales qui continuent de s'aggraver. Que faut-il faire pour résoudre le problème? Et quel rôle un pays comme le Luxembourg peut-il jouer, notamment grâce à son expertise en matière de finance internationale?

La première étape consiste à tirer et à appliquer les leçons de la COVID-19, qui a particulièrement affecté les revenus, la santé et la sécurité des femmes. Les confinements et les couvre-feux ont considérablement réduit leur accès aux emplois à temps partiel, informels et axés sur les services, dont dépendaient tant de femmes. La pandémie a interrompu les soins gynécologiques et reproductifs et a intensifié toutes les formes de violence basée sur le genre. Certaines statistiques sont des indicateurs particulièrement frappants et révélateurs de l'impact profond et à long terme de la pandémie sur les vies et les avenirs. Onze millions de filles ont abandonné l'école et risquent de ne jamais pouvoir y retourner. Ce capital humain féminin sera perdu à jamais. Aujourd'hui, treize millions de femmes de moins ont un emploi. Alors qu'elles ont perdu leur emploi rémunéré, les femmes ont effectué davantage de travail non rémunéré, car elles ont dû s'occuper de leurs enfants restés à la maison ainsi que des membres âgés malades de leurs familles. Ces périodes prolongées de réduction du temps de travail ou d'interruption temporaire de carrière se traduiront bientôt par une baisse du niveau des pensions et une augmentation de la pauvreté des femmes dans la vieillesse.

Les réponses des gouvernements à la pandémie ont été rapides et importantes - des milliers de milliards de dollars. Mais ces réponses ne tenaient pas compte du genre. Sur plus de 3.000 mesures prises dans le domaine social et du marché du travail, 12% seulement visaient les besoins des femmes. Le résultat a été une reprise plus lente et plus coûteuse pour tous. La première leçon à tirer est donc la suivante: placez toutes les politiques publiques sous le prisme de l'égalité des sexes. Lorsque vous prenez des décisions, assurez-vous non seulement de garder les femmes au centre de celles-ci mais assurez-vous aussi qu’elles soient présentes dans la salle.

La deuxième leçon, plus humble, a été apprise au cours des dernières années : les gouvernements ne peuvent pas résoudre seuls le problème de la discrimination basée sur le genre. Leurs fonds, même s'ils sont disponibles, ne suffiront pas. Les réformes imposées d'en haut ne suffiront pas non plus. Nous devons exploiter le pouvoir des marchés. Les solutions ne peuvent être trouvées que si nous alignons les incitations des gouvernements et des entreprises, des politiciens et des investisseurs, des secteurs public et privé.

L'expérience du Luxembourg est importante à cet égard, puisqu'il a joué un rôle important dans la mise en place de la finance privée au service de l'environnement. Sa Bourse Verte (Luxembourg Green Exchange), créée en 2016, est la première plateforme au monde dédiée aux titres durables. Fin 2021, la Bourse recensait plus d'un millier d'obligations "vertes, sociales, durables et liées à la durabilité", pour une valeur de quelque 600 milliards d'euros. Les nouvelles émissions arrivent sur le marché à une vitesse étonnante. L'année dernière, elles ont dépassé un trillion de dollars à l'échelle mondiale. Jamais auparavant autant d'argent n'avait convergé aussi rapidement vers un bien public - comme un climat stable.

Le succès des obligations vertes peut s'étendre aux obligations liées au genre. Le Luxembourg est déjà un précurseur en matière de nouveaux instruments financiers. Il pourrait également être à l'avant-garde dans la création d'un écosystème financier permettant de faire progresser l'égalité des sexes, grâce à l'émission de titres dont le produit donnerait du pouvoir aux femmes et aux jeunes filles. La International Capital Markets Association, la Société financière internationale (IFC) de la Banque mondiale et ONU Femmes ont récemment publié un nouvel ensemble de normes pour l'investissement en faveur de l'égalité des sexes, qui soutient l'utilisation de la dette durable pour l'égalité des sexes.

Moins d'un pour cent de toutes les obligations thématiques ont pour thème le genre. La totalité de ce pourcentage a été émis uniquement par des entreprises. Aucun gouvernement n'a jamais émis d'obligation liée au genre, même si beaucoup d'entre eux ont été actifs dans l'espace vert. Atteindre l'égalité des sexes est la bonne incitation pour changer cette situation.

Le gouvernement du Luxembourg entend saisir ce moment stratégique. Il a lancé un partenariat de trois ans avec ONU Femmes pour catalyser les marchés financiers mondiaux, tirer parti des initiatives publiques-privées et concevoir de nouveaux instruments financiers. Un partenariat similaire avec la Bourse de Luxembourg a été conclu en mai dernier. L'objectif ultime est d'apporter quantité et qualité au financement de l'égalité des sexes et de mobiliser des flux de capitaux qui contribuent de manière significative aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, et en particulier à l'ODD 5. Les femmes et les filles du monde entier en bénéficieront.

La pandémie a peut-être freiné les progrès des femmes vers l'égalité des droits, mais elle nous a aussi montré la voie à suivre. L'alignement d'une politique sensible au genre et d'un financement durable pour atteindre les ODD est essentiel à ce progrès. Les gouvernements et les investisseurs privés peuvent et doivent travailler ensemble en partenariat pour atteindre cet objectif. Ce n'est qu'alors que nous pourrons accélérer la réalisation de l'égalité des sexes.

Article conjoint de Franz Fayot, ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire et Sima Bahous, Directrice exécutive d'ONU Femmes

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